L’avènement des intelligences artificielles (IA) capables de générer des contenus originaux, qu’il s’agisse de textes, d’images ou de musiques, secoue les fondements du droit d’auteur. En permettant la création d’œuvres en toute autonomie, sans intervention humaine directe autre que le prompt, ces technologies d’IA remettent en cause le paradigme classique de l’originalité, intrinsèquement lié à l’idée d’un auteur humain.
Face à ce big bang juridique, la question de la titularité des droits sur les productions des IA créatives divise profondément juristes et législateurs à travers le monde.
Comment adapter les grilles d’analyse du droit d’auteur traditionnel ? Parmi les pistes explorées, celle consistant à protéger le “prompt”, instruction textuelle fournie par l’utilisateur pour guider l’IA, présente un intérêt particulier. Analyse des enjeux et perspectives d’une telle approche.
I – L’originalité humaine, pierre angulaire du droit d’auteur, remise en cause
Le droit d’auteur, tel qu’on le connaît depuis la loi française de 1793 puis la convention de Berne de 1886, repose sur la notion cardinale d’originalité. Concrètement, une œuvre est protégeable si elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, si elle est le fruit de l’esprit créateur et du talent d’un être humain. L’article L111-1 du Code français de la propriété intellectuelle dispose ainsi: “l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre […] d’un droit de propriété incorporelle […]” . L’auteur, sujet de droit, est donc nécessairement personne physique.
Or, avec les avancées fulgurantes de l’intelligence artificielle ces dernières années, et notamment l’accès à des plate forme comme ChatGPT, DALL-E 2 ou Claude.ia, des programmes informatiques sont désormais capables de produire de manière autonome, à partir d’un prompt – une requête plus ou moins précise- des contenus pouvant présenter une certaine forme de production – articles, poèmes, musiques, peintures… – apparemment créative, sans qu’un humain n’ait directement créé ou compilé les éléments de l’œuvre. Les IA laissent entrevoir un monde où les machines pourraient remplacer l’humain dans le processus créatif.
Dès lors, à quoi rattacher l’originalité ? Celle-ci ne réside-t-elle pas dans l’œuvre elle-même plutôt qu’à la qualité de son créateur ? Certains juristes, comme le professeur américain Ryan Abbott, estiment que l’appréciation de l’originalité d’une création générée par une IA ne devrait pas différer de celle d’une œuvre traditionnelle. Si certains seuils de créativité et d’innovation sont atteints, la protection doit jouer indépendamment de la nature humaine ou non de l’entité créatrice.
II – L’épineuse question de l’attribution des droits sur les œuvres d’IA
Si l’on admet que des créations issues de l’IA puissent potentiellement prétendre à la protection par le droit d’auteur ( on excluera provisoirement ici les supports et bases de données d’entrainement utilisées par les IA pour générer les résultats, mais le problème est d’ampleur), se pose alors l’épineuse question de la titularité des droits. À qui attribuer des droits exclusifs sur une œuvre générée par une entité – l’IA – qui n’a pas de personnalité juridique ?
Plusieurs approches s’affrontent, tant aux États-Unis qu’en France, sans qu’aucun consensus ne se dégage. Parmi les pistes envisagées outre-Atlantique, certains juristes comme Liza Vertinsky proposent d’attribuer les droits au programmeur de l’IA. D’autres défendent l’idée originale de conférer un statut juridique propre aux IA créatrices, qui deviendraient alors titulaires de droits. OpenAI lui meme propose un Copyright Shield, une assurance au cas où.. la loi déciderait en défaveur de l’utilisateur de l’IA.
En France, la position dominante consiste à considérer l’utilisateur final comme l’auteur, l’IA n’étant qu’un outil mis à sa disposition. Dans cette optique, les droits reviennent à la personne ayant utilisé l’IA pour générer un contenu, par la fourniture du texte d’instruction, cad le prompt. Toutefois, même au sein de la doctrine française, le consensus est loin d’être total. Certains juristes craignent qu’une telle assimilation de l’IA à un simple outil ne conduise à terme à une remise en cause générale du droit d’auteur, en faisant de l’humain un simple “utilisateur” d’outils créatifs sur lesquels il n’aurait aucun monopole.
La refonte des grilles d’analyse semble inéluctable. Les projets de loi naissent et nul ne sait quel régime s’appliquera. Les créations générées sont pourtant là, innondent les réseaux et les sites web, et faire machine arrière semble presque impossible.
III – Le prompt, cœur du processus créatif ?
Parmi les orientations prometteuses, et c’est notre position chez Fidealis, l’idée de conférer un rôle central au prompt mérite examen. Dans le fonctionnement des IA autogénératives de type GPT, l’utilisateur fournit une description textuelle, descriptive et parfois exhaustive du résultat souhaité. Certains juristes considèrent que le prompt pourrait constituer l’essence même du processus créatif, portant la part déterminante de créativité, d’imagination, de choix arbitraire et d’originalité. L’IA se voyant alors cantonné au rôle d’un exécutant technique, se contentant de matérialiser les instructions fournies.
Partant de ce postulat, le professeur américain Clark Asay estime que les droits devraient revenir aux auteurs des prompts. L’IA ne ferait alors qu’exécuter un plan créatif conçu et mis en forme par un humain. Poussée plus loin, cette logique conduirait à considérer la personne élaborant une succession organisée de prompts comme le véritable créateur d’un scénario ou d fine les créations, elle ne ferait qu’interpréter les instructions L’acceptation ou le refus, dans cette itération “ créative”, de certains résultats, renforce l’idée de matérialisation d’une idée vers le projet créatif final généré par l’IA. Ainsi, tout comme une idée, non protégeable au début, les prompts amènent à l’accouchement d’un projet, au fur et à mesure que s’enchainent et se précise le processus prompt initial jusqu’à l’obtention du résultat satisfaisant. Ce process suit de près le déroulé d’une création classique hors IA, qui dès lors joue pleinement le rôle d’un outil, classique, et l’auteur du prompt reprend son role d’auteur.
Sur le plan pratique, protéger juridiquement les prompts ouvrirait la voie à un système où l’utilisateur déposerait (par un enregistrement de droit de propriété intellectuelle) à la fois la liste des prompts fournis et les créations générées par l’IA sur cette base. Une façon de préserver les droits du créateur humain sur une création, tout en stimulant l’usage. Cette méthode de traçabilité et de preuve d’antériorité est communément utilisée pour les carnets de Laboratoire par exemple, qui tracent le cheminement des découvertes et tests.
Fidealis fera un release début décembre 2023 du service de capture probatoire de prompts (texte, image) qui pourra aller récupérer dans votre GPT une discussion, et marquer l’antériorité pour prouver l’intervention du « créateur » dans le processus de génération/ création.
Conclusion
L’équilibre reste à trouver entre protection des créateurs et accès aux nouvelles formes de création / génération pilotée par les IA. Pour conférer des droits de Propriété intellectuelle aux créateurs des prompts qui sont selon notre conception, des œuvres créatives à part entière. Cette approche présente le mérite de reconnaître le rôle du prompt dans un processus créatif revisité par l’IA, sans pour autant bloquer l’innovation. Les débats ne font que commencer et promettent de continuer à animer la doctrine juridique dans les années à venir.
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